En visite à la Ferme Saniben ; un exemple pour l’établissement de la relève
Porc •Trois générations de producteurs : Raynald, Benjamin et Pierre Roy
Une troisième génération de producteurs porcins, voilà où en est arrivée aujourd’hui la famille Roy de Saint-François-de-la-Rivière-du-Sud. D’une petite entreprise de finition de porcelets établie en 1967, elle est passée à un complexe de 2 800 truies en 2016, soit un bon bout de chemin parcouru par des gens passionnés de production porcine. Voici en mots et en images ce qu’est la Ferme Saniben.LES TOUT PREMIERS DÉBUTS
C’est en 1967 que M. Raynald Roy décide de se lancer dans la production de porcs d’abattage. Y voyant une occasion d’affaires, il décide de louer des bâtiments afin d’engraisser des porcelets qu’il se procure auprès de petits naisseurs locaux. À partir d’une petite moulange maison et d’une camionnette, il transporte sa moulée en sacs vers différentes fermes et alimente à la main les trémies sur ses sites.En 1972, il fait l’acquisition d’une ferme laitière et la transforme en un engraissement de 800 places. Sur la même terre, où la résidence familiale est dorénavant située, il procède en 1979 à la construction d’une unité naisseur de 300 truies. Cela représente pour l’époque une ferme porcine de grande envergure. Toutes les cages de gestation et de maternité sont fabriquées sur place par M. Roy et son équipe.
LA DEUXIÈME GÉNÉRATION
En 1988, son garçon Pierre termine sa formation à l’école d’agriculture de Sainte-Croix-de- Lotbinière. Il se joint à son père avec la ferme intention d’acquérir l’entreprise familiale. Les problèmes de santé qui surviennent à la suite de l’émergence de certaines maladies (pleuropneumonie, entres autres) et la proximité d’autres fermes porcines amènent les producteurs à chercher des solutions. Pierre participe ainsi aux travaux de la ferme et à son développement, dont l’augmentation du cheptel à 1 000 truies en 1996, sans pouponnière ni engraissement. Il y a donc une spécialisation en atelier naisseur et comme c’était la tendance à l’époque, deux sevrages par semaine, entre 14 et 17 jours.En 2001, il loue un bâtiment non loin qui sera utilisé au début comme quarantaine, puis après l’achat, en cochetterie de 175 truies de capacité en bandes toutes les trois semaines. Pierre se présente au concours de la Ferme porcine de l’année et remporte le titre. Ensuite, il obtient la médaille de bronze à l’Ordre national du mérite agricole. En 2004, la cochetterie accueille 450 truies. Le développement se poursuit…
LE SYNDROME REPRODUCTEUR ET RESPIRATOIRE PORCIN (SRRP)
En 2005, le troupeau principal est atteint pour la première fois du SRRP. Cela représente un dur coup et des pertes importantes. La situation s’améliore, mais une seconde crise survient en 2008, incluant des épisodes de diarrhée chez les porcelets sous les mères. Une troisième crise se produit en 2010. Les fermes voisines se contaminent entre elles; le virus fait des ravages et nuit grandement à la rentabilité de chaque producteur.En 2012, Pierre prend la décision de se tourner vers la conduite en bandes tous les 28 jours afin de couper le cycle de la maladie toujours présente dans le troupeau et la région. À la fin de cette même année, la quatrième et dernière crise survient. Pierre n’a pas le choix de liquider les troupeaux. La situation est devenue invivable à cet endroit. Un autre producteur liquide également son inventaire de 1 200 truies.
LA TROISIÈME GÉNÉRATION
Benjamin, le fils de Pierre, termine sa dernière année en gestion agricole au cégep de Lévis-Lauzon, il travaille à la ferme depuis l’âge de 11 ans. Il a passé deux mois sur une ferme porcine de 750 truies de type naisseur-finisseur en Bretagne afin d’apprendre, entre autres, les notions sur l’élevage en grands groupes. Il annonce déjà ses intentions avec son projet de synthèse, soit le rachat des fermes familiales… Il veut poursuivre la tradition et envisage ainsi des années à l’avance son projet d’établissement.Pour Pierre, il est hors de question de transférer à la relève une entreprise dont le troupeau risque de contracter une maladie comme le SRRP de façon récurrente. Avec Benjamin, ils établissent un plan de match. Il leur faut un partenaire qui désire s’impliquer dans l’établissement de la troisième génération en facilitant l’éradication de la maladie du secteur avec l’aide d’autres producteurs, soit un projet gagnant-gagnant pour tous. Le but consiste à partager les risques (sanitaires et financiers). Benjamin annonce donc ses couleurs dans une petite annonce sur un site d’échange Internet entre producteurs porcins, une façon moderne de faire avancer les choses… Agri-Marché répond à l’appel.
Avec la complicité du secteur financier, de la famille Roy ainsi que des producteurs voisins, l’entreprise Saniben voit le jour avec à sa tête Benjamin, âgé de moins de 25 ans. À la suite des démarches de M. Guy Buteau, deux engraissements ainsi qu’un troupeau de type naisseur-finisseur sont dépeuplés, puis repeuplés avec des animaux sains. À l’été 2014, il n’y a plus aucun porc dans le secteur.
Le bâtiment naisseur de 1 200 truies qui était vide est acquis également par l’entreprise qui compte désormais 2 800 truies en bandes aux 28 jours (excluant la cochetterie fonctionnant en bandes aux deux semaines). Plus d’une année après le début des opérations, chaque participant y trouve son compte et, surtout, il n’y a plus de SRRP à des kilomètres à la ronde. Plusieurs intervenants prennent part au projet : l’équarrisseur, l’exterminateur et les transporteurs sont tous mis à contribution afin de protéger les sites. Voilà un bel exemple de coordination. La mission de Saniben est aujourd’hui de produire un grand nombre de porcelets de qualité, tout en respectant le bienêtre de l’animal, l’environnement et les participants au projet.
Aujourd’hui, Benjamin emploie 12 employés, dont six membres de sa famille et quatre Guatémaltèques qu’il a recrutés grâce à une entreprise spécialisée. Il a appris l’espagnol afin de communiquer avec ces derniers. Vu l’ampleur de l’entreprise et les sites multiples, il a nommé un gérant par ferme. Son équipe est également composée d’une personne à temps plein responsable de la maintenance, et qui est assistée occasionnellement par un autre membre de l’équipe.
Les travailleurs étrangers représentent une valeur ajoutée pour lui, même si cela signifie beaucoup de planification pour les amener au Québec (il faut prévoir les besoins plusieurs mois d’avance). Ces gens sont ici pour travailler. Pour eux, un dimanche c’est la même chose qu’un mardi. Pas question de demi-journée de travail, ils veulent constamment « faire des heures », et Benjamin doit continuellement les contrôler à ce sujet, car il existe des règles à respecter lorsque l’on signe des ententes pour amener ces travailleurs au Canada. Il s’agit d’une gestion complètement différente. Benjamin considère qu’il a atteint un certain équilibre entre le nombre de travailleurs étrangers et locaux. Le secret c’est de savoir utiliser cette « ressource » de manière stratégique.
Le travail commence pour tous à 7 h et se termine vers 16 h, sauf les jours de sevrage beaucoup plus exigeants (l’équipe vend environ 2 900 à 3 000 porcelets par sevrage). Pour l’assistance aux truies à la parturition, les horaires sont modifiés afin qu’au moins une personne de l’équipe soit présente pendant 18 heures par jour de mise bas, et les résultats sont probants (voir le tableau 1). Deux des fermes ont d’ailleurs reçu des prix de la compagnie de génétique Hypor pour les taux de perte naissance-sevrage, et ce, l’année de leur démarrage avec uniquement des cochettes à la première rotation.
LA VISION DE L’AVENIR
Représentant bien sa génération, Benjamin est résolument tourné vers les technologies et les nouveautés. Le nouveau bâtiment qui accueille 1 200 truies a immédiatement été rénové pour se conformer aux exigences du bien-être animal (DACs), l’autre ferme ainsi que la cochetterie sont dans les plans.Benjamin utilise plusieurs gadgets afin de faciliter le travail (mini tablette pour les entrées de données avec la technologie sans fil Bluetooth et un bâton servant à la lecture des étiquettes électroniques). Cette ferme a été parmi les premières à utiliser des sacs de semence afin d’accélérer l’étape de l’insémination. Toujours prêt à essayer de nouvelles choses, Benjamin ne cesse d’effectuer des tests afin d’améliorer les performances de la ferme.
Déjà titulaire d’un DEC en gestion agricole, Benjamin suit des formations en informatique et en gestion du personnel. Un bac en agroéconomie n’est pas exclu également.
Dans son esprit, la demande en viande de porc ne pourra qu’augmenter. Il croit que le développement au Québec doit se faire par l’entremise d’une agriculture durable, une valeur à laquelle il tient beaucoup.
La qualité de vie fait également partie de ses valeurs. Le métier d’agriculteur a beaucoup évolué depuis les 20 dernières années, et il n’est plus nécessaire de travailler jour et nuit pour réussir à joindre les deux bouts.
Comme les voyages sont importants pour lui, il pense pouvoir partir une semaine ou deux en vacances sans que son entreprise en souffre, signe d’une saine gestion.
EN CONCLUSION
Benjamin est fier du chemin parcouru. Il espère que le projet qui a été mené à bien dans son secteur pourra en inspirer d’autres dans la province. Le SRRP représente un coût énorme sur la production, et pouvoir l’éliminer permet de rendre notre secteur plus concurrentiel sur le plan mondial. Il s’agit d’un projet gagnant-gagnant, car chacun y a trouvé son compte.Quand on lui demande s’il y aura une quatrième génération, il esquisse un sourire. « Un jour peut-être, mais le tout dépendra de l’état de la production porcine à ce moment », conclut Benjamin. Mais, comme lui ont démontré les générations précédentes, l’amour du métier et le plaisir de l’exercer s’avèrent parfois plus forts que tout le reste.
SYLVEN BLOUIN, agr.
Superviseur fermes porcines
Agri-Marché inc.